Libération
Jesunette, Alkapone, Zac-Harry... A mille lieues des populaires Gabriel ou Camille, nombre de parents préfèrent sortir des sentiers battus et donner à leur progéniture un nom créé sur mesure. Amoureux de la belle orthographe, s’abstenir.
Toutes nos félicitations à notre chère Nabilla qui vient, il y a quelques jours, de mettre au monde son premier enfant («le plus beau jour de sa vie», dit-elle émerveillée à toute la presse hyper émue), prénommé Milann. Milann ? Un dérivé du prénom plus classique Emmilien, qui signifie «émule» ou «rival», et auquel la «reality showoman» a ajouté un «n», s’inscrivant ainsi dans la cohorte des parents de plus en plus nombreux qui créent ou inventent un prénom. Pour changer des Camille, Louise, Léa, ou Louis, Gabriel, Léo, prénoms les plus donnés en France en 2019, selon le fameux Guide des prénoms (1) sorti en septembre et qui donne le palmarès depuis 2008.
«Il y a environ 750 000 naissances par an en France actuellement. Le prénom le plus donné, Gabriel, l’a été à 5 400 bébés, soit moins de 1 %. Aujourd’hui, un bébé sur dix reçoit un prénom qui été donné six fois ou moins dans l’année. Ces prénoms très rares ne servaient qu’à 2 % des naissances en 1975», explique Baptiste Coulmont, sociologue, spécialiste des prénoms, et maître de conférences à l’université Paris-VIII (2). Quelques stars ont ouvert le bal avec des Tallulah Belle (fille de Demi Moore et Bruce Willis), Bear Blaze (fils de Kate Winslet), Bronx Mowgli (fils de la chanteuse et actrice Ashlee Simpson-Wentz), etc. M’enfin ce sont des stars, hein.
Clitorine et Vagina, c’est niet
Ces prénoms rares sont en général formés avec quelques astuces oscillant entre variations graphiques, prénoms exotiques auxquels on change une lettre, combinaison de deux prénoms, ajout abondant de consonnes et de voyelles, on va y venir, mais rappelons d’abord que de grands écrivains se sont adonnés à l’invention de prénoms : «Ysé, prénom inventé par Paul Claudel pour un personnage du Partage de Midi, ou encore Malvina par un poète écossais et Paméla, par un poète anglais du XVIe siècle, cite Baptiste Coulmont. Mais, en France, jusqu’en 1993 [la loi du 8 janvier sur les prénoms, ndlr] le contrôle des prénoms par les officiers d’état civil rendait complexe leur adoption, même si, ici où là, des arrangements étaient possibles.»
La loi est claire et offre la possibilité de choisir un nom original «dans la mesure où il ne porte pas préjudice à des tiers ou à l’enfant». L’officier d’état civil est tenu d’inscrire le prénom choisi et d’alerter éventuellement le procureur de la République. Genre Oussama ben Laden, c’est niet, Clitorine et Vagina aussi, le très original mais pas facile à prononcer Brfxxccxxmnpcccclllmmnprxvclmnckssqlbb11116 a été retoqué, Babord et Tribord ou Fish and Chips pour des jumeaux, et on en passe, dont Adolf Hitler, curieusement interdit.
Cela étant, ça ne veut pas dire que certains n’ont pas affublé leurs gosses de prénoms parfaitement abstrus, sous couvert d’originalité ou de désir de donner en cadeau à son petit son propre prénom créé avec amour par papa et maman : à être unique, prénom unique. Ainsi Tuba, Bruce-Lee, Merci Mireille, Alkapone, Batman, Barack Obama, Rolce-Roméo, Lola-Poupoune, Dior Gnagna, Cacharel, Louboutin, Meibelyne, Boghosse, Youyou, Jesunette, Jean-Clode, Djustyne, Zac-Harry, Kill-Yann, on continue ? Non, il y en a trop, il vaut mieux aller se gondoler avec l’hilarant Antiguide des prénoms (3) écrit il y a trois ans par deux officiers d’état civil sous couvert d’anonymat. Ils se sont manifestement régalés à épingler un millier (la liste n’est pas exhaustive) de prénoms folkloriques donnés par des «papounes» et des «mamounes» comme s’autonomment les parents sur les effroyables forums de doctissimo, magicmaman et autres, où les mères voient un «gygy» (comme le soulignent les facétieux auteurs de l’Antiguide, dix ans d’études de gynécologie pour se faire appeler gygy, c’est moche). En épluchant la presse locale, les listes de classes, le Web, les registres d’état civil, ils sont tombés sur des nids de prénoms insolites et se sont entre autres amusés à en décortiquer la genèse.
D’abord, on peut rajouter une lettre comme Nabilla, un n donc ou un a (Ophélia ?) sur un prénom plus ou moins classique. Ou en enlever une, Delphie, tiens. On transforme ainsi un prénom connu en l’orthographiant de manière «originale», Auphélie, Robaire, Marijane, Ahntoni, que sais-je, tous les coups sont permis en la matière, sachant qu’après les gnomes passeront leur vie à l’épeler. Mais la grande tendance, partagée par tous les milieux socioculturels, c’est d’ajouter ou remplacer des lettres par des k et des y, très prisés des mamounes, sourient les officiers de l’état civil : «Kamille, Klaude, Styvy». «Ajoutez un h pour l’équilibre, Khamylle, Khlaude, Sthyvhy». Avec un préfixe ou un suffixe, «transformez votre prénom en création improbable, Zsthyvy-du-loft» pour finir par un poétique «Zshtyv’hy dhu lauft». Sont-ils moqueurs, hein ?
...
No comments:
Post a Comment