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Les nouvelles Régions ou les nouvelles communes, résultant d’un regroupement de collectivités régionales ou locales antérieures, sont confrontées à des choix difficiles pour trouver le nom qui les désignera officiellement. En effet comment parvenir à un accord sur un nom qui soit à la fois représentatif de l’ensemble des territoires concernés, susceptible de dire et porter une identité commune et facile à employer aussi bien par les responsables politiques et administratifs que par les simples citoyens ? C’est pourquoi la Société Française d’Onomastique (SFO) a considéré qu’il était de sa compétence et de sa responsabilité d’engager une réflexion sur ce sujet et de donner des avis sur les dénominations proposées ou en cours d’attribution dans l’un et l’autre cas.
En ce qui concerne le nom d’Occitanie qui a été choisi récemment par le Conseil de la Région regroupant les anciennes Régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées à la suite d’une consultation populaire, la SFO tient à présenter les observations suivantes. Il est certain que le choix de ce nom peut être justifié par des considérations historiques. Le nom d’Occitania en latin commence à désigner le territoire de la nouvelle province française, le Languedoc, dès la première moitié du XIVe siècle et plus tard, à partir de 1634, les États du Languedoc auront tendance à nommer Occitania leur territoire. Mais évidemment cela exclut de fait la Catalogne française qui fait pourtant partie de la nouvelle Région. Et surtout il faut bien voir que depuis l’Ancien Régime le contenu sémantique de ce mot Occitanie a beaucoup évolué. Aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, le terme d’Occitanie est lié étroitement à occitan, langue occitane ou langue d’oc. Il désigne l’ensemble des territoires dans lesquels la langue occitane s’est développée et vit toujours, dans des réalisations très diverses. Par conséquent réserver l’emploi de ce mot à l’appellation d’une seule région du domaine occitan nous paraîtrait donner l’impression que les Gascons, les Auvergnats, les Aquitains, les Limousins, les Provençaux… ne sont pas des Occitans. Et dans certaines régions, comme la Provence, cela pourrait malheureusement conforter la position de ceux qui refusent ce terme d’occitan pour désigner les parlers de leur région, opposent le provençal à l’occitan en prétendant que ce sont deux langues d’oc différentes et pratiquent ainsi un repli identitaire néfaste.
La SFO a pris acte de ce qu’une signature « Pyrénées-Méditerranée » serait apportée. Mais il et à craindre que cela ne change pas grand-chose. Dans la pratique, c’est évidemment le titre Occitanie qui sera seul utilisé et s’imposera.
En définitive, tout en reconnaissant que la dénomination d’une nouvelle entité territoriale est une tâche ardue, la SFO considère que d’une façon générale il peut être dangereux de recourir à des noms qui sont certes prestigieux et fortement symboliques, mais qui sont historiquement datés et ne correspondent plus du tout ou ne correspondent que partiellement aux réalités de notre temps. Il semble que ce soit le cas du choix d’Occitanie.
En ce qui concerne les nouvelles communes, la SFO regrette que les nombreuses fusions intervenues depuis quelques années s’accompagnent trop souvent de créations toponymiques plus ou moins fantaisistes, alors qu’elles entraînent par contrecoup la disparition de noms vieux de plusieurs siècles voire deux ou trois millénaires. Comment ne pas s’étonner, en effet, de la promotion de noms à but mercantile, comme Kaysersberg Vignoble (Haut-Rhin), Aÿ-Champagne (Marne) ou pire, Vallées en Champagne (Aisne), ou à vocation principalement touristique, comme Palmas d’Aveyron (Aveyron), Val de Vignes (Charente), ou encore à visée propitiatoire comme Capavenir Vosges (Vosges) ? Comment ne pas s’offusquer devant des modes de formation totalement aléatoires consistant, entre autres, à tronquer des noms existants pour les rabouter dans des assemblages qui confinent parfois au ridicule, la palme étant (provisoirement sans doute, hélas) attribuable à Hypercourt (Somme), qui résulte de la soudure de segments prélevés sur Hyencourt, Pertain et Omiécourt !
Ainsi, la totale liberté accordée aux conseils municipaux, la discrétion des garde-fous administratifs et institutionnels qui filtraient naguère encore les propositions, l’atonie des autorités préfectorales devant ces mutations débouchent-elles sur une sorte d’anarchie dénominative, qui se manifeste aussi dans l’ignorance ou le mépris des règles formelles qui régissent la graphie des noms de communes, en particulier l’usage des majuscules et des traits d’union, ce dont témoigne le stupéfiant Bairon et ses environs (Ardennes).
Comment ne pas déplorer par ailleurs que ces créations plus ou moins fantaisistes provoquent la disparition de noms vénérables installés depuis des siècles : ainsi, des dizaines de toponymes formés à l’aide d’un nom de saint, et pour la plupart fixés dès le début du Moyen Âge, sont-ils menacés ; plus regrettable encore, la disparition de traces - parfois les seules d’ailleurs - d’établissement gaulois, comme Balesme-sur-Marne (Haute-Marne), qui conservait le souvenir de la déesse Belisama.
Faut-il rappeler que les noms de lieux, transmis par le vecteur des langues nationale et régionales, constituent une composante importante du patrimoine culturel immatériel, et qu’ils méritent à ce titre d’être protégés et sauvegardés ? Faut-il rappeler encore que les noms de lieux, comme les noms de personnes, ont été forgés, pour leur immense majorité, avant le XVIe siècle, et qu’ils ont été attribués en fonction du relief, de la végétation, de la nature des sols, de leur utilisation et de leur mise en valeur, mais encore de l’habitat, de la vie sociale, des croyances, témoignant ainsi de la façon dont les hommes ont perçu leur environnement, et constituant de véritables documents sur l’histoire des paysages, l’impact de l’anthropisation, et les mentalités de ceux qui les ont nommés ? Faut-il rappeler enfin que les noms nous renseignent sur la situation linguistique des lieux où ils se sont fixés, et que les toponymes peuvent être de précieux indicateurs pour la compréhension du fonctionnement des langues ainsi que pour la restitution de leur lexique, comme c’est la cas entre autres pour le gaulois ? Précieux indices d’une histoire et d’une culture, les noms de lieux constituent une composante de l’identité des territoires, et pour une part, de celle des hommes qui les habitent, qui les animent et qui les façonnent par leur travail.
Ce n’est d’ailleurs pas tant le phénomène lui-même que son accélération brutale, observée depuis 2015, et la frénésie dénominative l’accompagnant qui justifient notre inquiétude, puisque pour la seule année 2016, la création de 324 noms a entraîné la disparition
de 1097 noms préexistants. Le mouvement de fusion de communes, encouragé par les pouvoirs publics, n’est sans doute pas près de se tarir, et risque au contraire de s’amplifier dans les mois et les années à venir : il ne doit pas se traduire par une dégradation du patrimoine toponymique, et la SFO demande instamment que des solutions raisonnables et de bon aloi, qui existent, soient mises en oeuvre afin de préserver l’intégrité culturelle de ce patrimoine.
Le Président de la Société Française d’Onomastique,
Michel Tamine
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