Nommer l’humain : Descriptions, catégorisations, enjeux.
Une approche pluridisciplinaire
Colloque pluridisciplinaire organisé par
Laboratoire LiLPa (Linguistique, Langues, Parole, EA 1339)
&
Laboratoire DRES (Droit, Religion, Entreprise & Société, UMR 7354)
Université de Strasbourg, 10-12 Janvier 2018
Maison Interuniversitaire des Sciences humaines en Alsace (MISHA)
Nous sommes quotidiennement confrontés au lexique dénommant les humains : les néologismes en tous genres sont légion qu’ils proviennent des médias (de
migrants au tout récent
brexitiens en passant par les
workaholic) ou qu’ils proviennent d’entreprises comme la SNCF, par exemple, qui a remis au gout du jour le terme d’
attendant, dénomination ancienne d’une classe de compagnonnage (par opposition avec les compagnons reçus et les compagnons finis). Les modalités de désignations de l’humain sont nombreuses et recourent à des sous-catégories nominales diversifiées : outre les noms propres, déjà abondamment étudiés, elles englobent des noms communs, spécifiques (cf.
supra) mais aussi des noms à portée plus générale comme
homme, personne, individu, etc.
L’objectif de ce colloque, organisé par des linguistes et des juristes, est de réunir des spécialistes de champs disciplinaires variés, intéressés par les questions de la dénomination des personnes au moyen des noms communs, de la genèse des dénominations à l’analyse des fonctionnements linguistiques et sociaux des noms d’humains ainsi qu’à leurs finalités et leurs applications.
En effet, toutes les disciplines scientifiques sont amenées à créer et/ou utiliser des dénominations renvoyant à l’humain, ainsi que, à partir de là, des « catégories de personnes » (appelées diversement catégories socioprofessionnelles, types psychologiques, taxinomies morales, catégories juridiques, etc.), et ce à des fins diversifiées : les sociologues ont ainsi conçu toute une nomenclature de groupes sociaux en vue du recensement des populations (cf. les travaux de A. Desrosières & L. Thévenot, 1988
[1] ; de C. Brousse, 2010
[2]), les médecins et psychologues pour identifier les pathologies et optimiser les traitements, les pédagogues et didacticiens des profils d’« apprenants », les informaticiens des ontologies pour traiter automatiquement les noms propres de lieux, de structures et de personnes, les littéraires pour appréhender des genres littéraires à travers entre autres la notion évolutive de
personnage.
En droit, les catégories (juridiques) sont fondamentales pour appréhender la réalité. Au cœur du raisonnement juridique, elles sont mobilisées afin de déterminer les règles applicables aux situations de fait, relevant ainsi de l’essence de l’opération de qualification juridique. Suivant un exemple topique, la dénomination
travailleur peut correspondre à plusieurs catégories : la catégorie « salarié » ou la catégorie « travailleur indépendant ». Or, il apparait que la délimitation de ces catégories est éprouvée par la réalité sociale (de quelle classification relèvent l’auto-entrepreneur, le télétravailleur ou encore le travailleur recourant à une plateforme collaborative ?). Loin d’être seulement une opération technique, la catégorisation révèle ainsi une certaine représentation de l’humain et la prévalence accordée à un système de valeurs. Les catégories juridiques peuvent alors être analysées comme remplissant une fonction structurante du droit (cf. M. Cumyn, « Les catégories, la classification et la qualification juridiques : réflexions sur la systématicité du droit »,
Les Cahiers de droit, vol. 52 n° 3-4, 2011, p. 351-378).
Les sciences du langage ont pour mission d’élucider les régularités morphosyntaxiques présidant à la formation de ces unités lexicales (pourquoi
attendant et non pas
attendeur ? quelle différence entre
attendant et
attentiste ?), l’usage qu’en font les discours de tous genres, le sens qu’elles prennent selon leurs contextes, leur évolution historique (sens d’
attendant dans la nomenclature du compagnonnage et sa réactualisation « sncfienne ») et leurs impacts idéologiques, les principes de lexicalisation et leurs équivalences d’un système linguistique à un autre : l’opposition humain
vs non humain n’est pas universelle et Lakoff (1987)
[3] a montré que, dans certaines langues aborigènes d’Australie, les entités humaines mâles
vs femelles sont dissociées et rangées avec les animaux d’une part et l’eau, le feu, la nourriture, d’autre part.
Enfin, la désignation des humains est au cœur de débats actuels importants et constitue l’enjeu de problèmes sociaux cruciaux allant de la féminisation des noms de métiers aux désignations à visée euphémisante. On mentionnera aussi les questions (bio-)éthiques ou juridiques, liées à la catégorisation – et partant aux questions de désignation – comme personnes des embryons
[4], de certains animaux, les recherches impliquant la personne humaine
[5], toutes questions qui remettent en cause, outre des notions philosophiques (comme, entre autres, la mort), la question de la définition de la personne.
Si la dénomination des humains est un phénomène langagier prégnant qui constitue indéniablement une préoccupation transdisciplinaire, les approches et travaux pluridisciplinaires ne sont pas répandus pour autant. À l’exception du colloque intitulé « Noms de métiers et catégories professionnelles (Acteurs, pratiques, discours (XV
e siècle à nos jours) »
[6] qui a réuni des historiens, sociologues, statisticiens, linguistes et littéraires), il n’existe pas (à notre connaissance) d’entreprise visant à confronter les approches, à « croiser les regards », sur la question de la dénomination des humains.
Ce colloque entend donc réunir des contributions relatives à la dénomination des personnes, à la genèse des dénominations, à l’analyse des fonctionnements linguistiques et sociaux des noms d’humains ainsi qu’à leurs finalités et leurs applications, susceptibles de répondre aux questions suivantes :
- • quelles sont les raisons qui poussent à la création des dénominations des personnes ?
- • de quoi dépend la classification de l’humain dans les différents champs disciplinaires ?
- • qu’est-ce qui unit ou oppose les dénominations spécialisées/savantes aux dénominations usuelles ?
- • y a-t-il, ou non, des homologies, sinon des points communs entre les catégorisations des personnes dans les différents domaines des sciences humaines et sociales ?
- • à quelles fonctions et à quelles applications répondent les dénominations et catégorisations des personnes ?
- • quelles sont les perspectives historiques concernant l’évolution des désignations d’humains ? (en quoi la globalisation et l’internationalisation influencent-elles les dénominations de personnes et la perception des catégories d’humains ?)
- • …
Qu’il s’agisse de démarches descriptives portant sur le lexique dénommant les humains, ses usages, son évolution, etc. ou concernant la constitution de démarches classificatoires, qu’il s’agisse d’approches plus théoriques ou encore de présentation de démarches à visée appliquée, le colloque accueille les contributions susceptibles d’apporter des éclairages nouveaux, de nature à questionner et articuler un ensemble de disciplines, voire à proposer des outils ou applications à vocation interdisciplinaire.
À l’heure actuelle, compte tenu du contexte sociopolitique (phénomènes de migrations, débats communautaristes, questions récurrentes sur l’égalité hommes-femmes) ainsi que de la médiatisation et l’instrumentalisation des dénominations de l’humain, le thème de ce colloque est particulièrement opportun et crucial pour saisir ce qui se joue dans l’appréhension du rapport à autrui et pour mettre au jour les clichés et stéréotypes qui sous-tendent les représentations de l’autre
via la dénomination, l’instrumentalisation, la médiatisation et la dénomination des minorités.
[1]. A. Desrosières & L. Thévenot (1988) Les catégories socioprofessionnelles, Paris. La découverte/Repères.
[2]. C. Brousse (2010) ESeC, projet européen de classification socioéconomique, in Hanne G. et Judde de Larivière C. (éds) Noms de métiers et catégories professionnelles. Acteurs, pratiques, discours (XVe siècle à nos jours).Toulouse. Framespa/Méridiennes p. 309-323.
[3]. G. Lakoff (1987) Women, Fire and dangerous Things, Chicago, Chicago U.P.
[4]. A. Bertrand-Mirkovic, La notion de personne. Étude visant à clarifier le statut juridique de l’enfant à naitre, Aix en Provence : PUAM.
[5]. http://www.grenoblecognition.fr/images/stories/documents/loiJarde_2012.pdf.
[6]. G. Hanne et C. Judde de Larivière C. (éds) Noms de métiers et catégories professionnelles. Acteurs, pratiques, discours (XVe siècle à nos jours).Toulouse. Framespa/Méridiennes.