http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/03/26/la-toponymie-une-vieille-obsession-de-l-extreme-droite_4602209_3232.html
Le Monde |
Par Frédéric Giraut, Spécialiste de Géographie politique
L’extrême droite xénophobe en France cultive son populisme avec un discours simpliste sur le supposé nécessaire bon sens contre les idéologies. Elle conteste ainsi systématiquement toute une série d’initiatives municipales, départementales ou régionales pour leur caractère internationaliste et intellectuel, dans le domaine culturel et mémoriel. Sa rhétorique réactionnaire est bien souvent conforme à la grille de lecture proposée par l’économiste américain Albert O. Hirschman (1915-2012). Ce discours rejoint celui de la droite promotrice de l’identité nationale puisqu’il invoque l’inanité de ces initiatives culturelles. On leur prête des effets pervers qui contribueraient à la perte des repères et à la mise en péril des valeurs essentielles à la cohésion nationale.
La toponymie, en tant que domaine du symbolique et de l’idéologique, est souvent renvoyée, dans ce type de discours, à l’inanité par rapport aux vraies questions qui seraient celles de la vie quotidienne locale et des nécessaires économies à faire. Dans des contextes très différents, c’est souvent avec ces arguments que sont rejetées ou contestée des initiatives féministes ou internationalistes par les nouveaux élus d’extrême droite, mais aussi par de nouvelles équipes municipales qui se révèlent également réactionnaires sur ce terrain.
À Elne, à Limeil-Brévannes ou à Romorantin où des noms féminins célébrant des figures nationales et internationales de résistantes ou de féministes prévus pour de nouvelles rues sont abandonnés ou contestés sous différents prétextes. On préfère ainsi une rue Canigou à une rue Rosa Parks ou Olympe de Gouges à Elne, tandis qu’à Limeil-Brévannes la nouvelle municipalité revient sur une nomination prévue également selon cette dernière figure historique emblématique pour les mouvements féministes pour promouvoir cette fois d’autres figures féminines plus locales, enfin une élue Front National à Romorantin traite cette même icône féministe de « non Solognote » et « d’assimilée à une prostituée » pour contester la nomination d’une allée à son nom.
Un beau terrain pour ce type de combat politique réactionnaire et très idéologique est celui des nominations en Nelson Mandela. Celles-ci étaient combattues dans les années 1980 car elles célébraient un communiste et un terroriste. Au Royaume-Uni, en France et aux Pays-Bas, la décision de renommer un lieu Nelson Mandela put même être renversée par de nouvelles équipes, ainsi à Sartrouville en 1989.
L’extrême droite intervint même spectaculairement sur ce terrain à la fin des années 1990 alors que Nelson Mandela président de la nouvelle Afrique du Sud et Prix Nobel de la Paix avait déjà acquis un statut de figure internationale de défense des droits de l’homme et de la paix. Ainsi la place Nelson Mandela de Vitrolles devint la Place de Provence, tandis qu’ailleurs dans la ville prise par les époux Mégret, une figure d’extrême droite (Jean-Pierre Stirbois) pouvait être célébrée en lieux et place d’une autre figure postcoloniale comme Jean-Marie Tjibaou.
Ces initiatives réactionnaires veillèrent en usant de grosses ficelles à ne pas pouvoir être clairement associées à des motivations racistes ou sexistes, soit en promouvant en contrepartie des figures et symboles locaux et régionaux provençaux dans le cas de Vitrolles, et/ou en promouvant des figures féminines ou noires en lieu et place des débaptisés : Marguerite de Provence à la place de Dulcie September (la représentante assassinée de l’ANC en France) à Vitrolles ; Felix Eboué à la place de Nelson Mandela à Sartrouville.
La nouvelle vague d’élus d’extrême droite est amenée à se prononcer sur des nominations en Nelson Mandela, dans un autre contexte qui est celui d’une célébration quasi universelle, y compris par la droite, d’une figure des valeurs démocratiques et de la défense des droits de l’homme. Ainsi les initiatives dans ce sens fusent depuis le début des années 2010 et particulièrement depuis fin 2013 et la mort du grand homme. Il est parfois mis sur le même plan par la droite que le co-récipiendaire du prix Nobel et ancien dirigeant du régime d’apartheid Frederik de Klerk, ou peut servir à effacer la mémoire des combats de municipalités communistes antérieures comme à Yerres où le nom de Mandela est donné au pont de Soweto qui commémorait le martyr des militants anti-apartheid en Afrique du Sud ou à Saint-Cyr, lorsque le nom de Nelson Mandela est donné à une rue Georges Dimitrov, résistant anti-nazi et premier dirigeant du parti communiste Bulgare.
Mais les élus d’extrême droite, loin de participer à cette célébration à géométrie variable de l’icône Mandela, s’y opposent avec une constance remarquable. Les arguments sont cependant différents selon que les élus s’alignent sur le discours officiel de la direction du Front National en quête de respectabilité ou font ressortir un naturel bien souvent présent sur le terrain. Ainsi, depuis les élections municipales de 2014, à Toulon, Lomme, Lyon et Saint-Etienne, les élus du Front national ont refusé de voter pour la nomination en Nelson Mandela respectivement du parvis de la nouvelle gare, d’un établissement régional d’enseignement adapté (EREA) et de deux esplanades.
Ils ont argué dans le premier cas du mauvais traitement infligé à la mémoire du général putschiste Salan, célébré en son temps par la mairie Front National, dans les deux cas suivants d’une opposition à « l’internationalisation de la ville » et enfin à Saint-Etienne ils ont repris l’antienne sur le caractère communiste et terroriste de Nelson Mandela et sa contribution seulement passive à la sortie de l’apartheid.
Enfin, à Béziers, le nouveau maire d’extrême droite a dans un premier temps voulu débaptiser la toute récente école Nelson Mandela sise dans la nouvelle rue Frederik De Klerk, pour lui donner le nom d’un poète occitan subitement décédé, avant de se rétracter. Mais loin d’abandonner le terrain toponymique, pourtant a priori si éloigné de ses discours pragmatiques et anti-idéologiques, il a, à la manière de ses prédécesseurs maires Front National des années 1990, entrepris d’effacer le souvenir des accords de paix d’Evian scellant la dernière guerre coloniale française pour célébrer un de ses acteurs engagés.
Ainsi, malgré son discours visant à délégitimer la promotion de figures idéologiques dans la toponymie, l’extrême droite est régulièrement tentée de mettre en avant son propre panthéon, fait notamment de figures coloniales et singulièrement des jusqu’au-boutistes de l’Algérie française.
Il ne faut jamais désespérer de l’extrême droite, son naturel et ses références historiques et idéologiques sous-jacentes ne demandent qu’à ressortir à la moindre occasion.
Frédéric Giraut dirige le département de géographie et environnement à l’université de Genève
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